Quand on va atteindre prochainement le quarantième jour d'une situation pour laquelle ni toi ni moi n'étions finalement préparés [et pour laquelle nous sommes, malgré tout, relativement préservés], est-ce vraiment si étonnant de sentir une à une les digues impuissantes à résister au tsunami dont on avait bien perçu, au départ, qu'il serait d'ampleur ?
C'est une des règles que j'ai apprises des gestions de crise [avec les efforts de communication], gérer la latence. Une crise, quelle qu'elle soit, induit des changements difficiles sinon ce n'est pas une crise. Face à ces changements que l'on accepte ou non, la résilience est importante mais elle ne fait pas tout et, surtout, elle emporte avec elle une donnée importante : la latence.
Kezako ? La "latence" vient du latin "latens" qui signifie "caché". Elle désigne la qualité d'une propriété dissimulée et amenée à apparaître ultérieurement. De fait et dans diverses circonstances, il peut s'agir du temps de latence ou période de latence pour désigner le délai entre une action et le déclenchement d'une réaction, donc un retardement. C'est particulièrement le cas en informatique et plus spécifiquement sur les réseaux informatiques où l'on parle de "lag" donc de délai entre le moment où une information est envoyée et celui où elle est reçue.
De façon plus générale, la latence s'entend comme l'intervalle entre la fin d'un événement et le début de la réaction à celui-ci. C'est ainsi qu'en biologie, elle désigne l'intervalle de temps entre un stimulus et la réponse, physiologique ou comportementale, d'un organisme, d'un tissu, ou d'une cellule. En psychanalyse, il s'agit de certains éléments du subconscient qui se révèlent par la suite. On parle ainsi de latence à l'endormissement en neurologie, ou encore de temps de latence en médecine ... autrement dit de période d'incubation. Un truc que l'on connaît bien en ce moment ... une maladie qui n'est pas encore devenue aiguë, se déroulant sans symptômes est appelée latente. Tu vois ?
Sauf qu'au delà du Covid-19 dont la latence est l'une des seules certitudes que l'on ait à ce stade, la crise sanitaire, sociale et économique qui l'accompagne provoque elle aussi une latence et je n'en suis pas épargné nonobstant l'apparence de façade qui confine au flegme teinté de fatalisme. Cette apparence factice, induisant clairement en erreur pour gagner un peu d'air, ne tient finalement pas beaucoup, pas longtemps.
Parce que depuis le début, les nouvelles ne sont pas réjouissantes. Le télétravail c'est génial sauf que c'est épuisant [hier soir, j'ai encore terminé à 19h45, après une journée que je n'ai vraiment pas aimée] et c'est d'autant moins facile qu'on te donne la moitié des informations et que tu es censé réfléchir pour celles et ceux qui ne veulent pas s'en donner la peine. Être une hotline pour ma mère sur tout un tas de sujets [hier, c'était la téléconsultation médicale ...] alors qu'elle ne veut pas comprendre et qu'elle attend qu'on fasse et refasse pour elle tout le temps, c'est épuisant. L'accumulation de mauvaises nouvelles devient par ailleurs difficile : la mère d'une collègue-amie est décédée et a été inhumée lundi, le père de l'une de mes meilleures amies est toujours en réanimation depuis bientôt trois semaines. Et te dire que je supporte encore les petites musiques de notification à gauche, à droite et au milieu serait mentir : j'ai juste envie de jeter les téléphones et autres appareils qui font de tels bruits par la fenêtre ... sur les connards qui n'ont toujours pas compris ce que "confinement" veut dire et qui s'amusent à se faire des rendez-vous conviviaux sous mes yeux.
La latence donc ... je vois bien ce qui se profile. J'anticipe déjà pas mal mes réactions et si le déconfinement ne sera pas une mauvaise chose finalement, je pense aussi que cela va être un sacré choc puisque la pression en résultant accompagnée de l'oppression générale. L'effet collatéral retardé ne va pas manquer et son amplitude promet d'être majeure. Ajouté au fait que je suis en plein doute au sujet de mon nouveau travail et la façon dont il se passe, oui clairement l'effet de latence ne dit rien qui vaille.
Je me souviens qu'en janvier je m'étais demandé s'il ne serait pas opportun de prononcer le reboot de 2020, j'infère que le problème soit plus profond. Une semaine de vacances, même confiné, ne peut me faire que du bien.
Tto, en pleine latence