Les moments actuels sont définitivement ceux dont on se souviendra bientôt comme étant ceux d'une rupture comparable à celle qui est intervenue en 1987. Oui, sans que tu n'y fasses grandement attention, tout est en train de changer dans ta télé et même ailleurs. C'est probablement la fin d'un système, l'épilogue du monde d'avant et le début d'autre chose. La conjonction des facteurs, dans un temps si rapproché, touchant autant d'acteurs systémiques du paysage audiovisuel français me laisse un peu sidéré.
EUROPE 1 joue sa survie dans un grille de rentrée au sujet de laquelle tout le monde sent bien que LAGARDERE n'entend pas franchement se donner les moyens. Évacuation du Patrick Cohen et de piliers de la maison bleue pour tenter de retrouver une âme ou une connexion avec des auditeurs qui ont déserté. Le sursaut devra être constaté en janvier prochain sinon Laurent Guimier pourra préparer ses cartons. Pas certain que l'arrivée imminente de Nikos Alliagas à la matinale comme celle de Camille Combal en après-midi [après que Courbet comme Bern ait décliné] suffise à clarifier la ligne d'une EUROPE 1 dans la spirale de l'échec. Si cela ne concernait que la seule EUROPE 1, ce ne serait pas grave. C'est simplement l'une des maisons les plus mythiques de l'audiovisuel depuis 60 ans, avec une rédaction emblématique et une modernité qui a vécu. Le monde d'avant ... C'est surtout la dernière position du GROUPE LAGARDERE, jadis candidat au rachat de TF1 et co-actionnaire de CANAL+ ...
Justement, CANAL+ continue son voyage au bout de l'enfer, depuis que Vincent Bolloré a sonné le glas des années fastes revenues grâce à Bertrand Méheut. Tout s'écroule et même le pilier principal, la diffusion du football hexagonal. Certes, c'est un coup de tonnerre, mais c'est surtout un séisme puissance 9 sur l'échelle de Richter puisque cela rend la chaîne totalement absente de visibilité sur le seul marché qui garantit l'abonnement. Depuis le début, on ne s'abonne pas à CANAL+ pour autre chose que du sport et c'est même ce que disait Vincent Bolloré jadis en expliquant qu'il fallait investir dans la compétition sportive puisque c'est le seul spectacle différenciant pour lequel la télévision dite linéaire conserve son avantage comparatif. Depuis, NETFLIX rogne le parc d'abonnés avec ses contenus délinéarisés, les concurrents sont chaque fois plus voraces et nombreux et il est loin le temps où François Hollande avait pesé pour que la chaîne cryptée ne soit pas évincée des droits de diffusion. Jusqu'en 2020, la chétive équipe dirigeante devra trouver la pierre philosophale qui permette de justifier encore qu'on puisse payer si cher pour si peu ...
A côté de cela, ORANGE joue sa carte et construit patiemment l'alternative au géant CANAL+ en annonçant dans quelques jours la fusion de sa chaîne OCS avec celle du concurrent ALTICE, rayant de la carte les ambitions d'Altice Studio qui se voulait être challenger l'année dernière. Les 400 millions investis à perte par Patrick Drahi seront compensés par une prise de participation dans OCS où ALTICE retrouvera CANAL+ ... OCS disposera alors du plus gros catalogue de droits [HBO, NBC-UNIVERSAL, PARAMOUNT, etc] disponible en France, de quoi porter davantage le nombre d'abonnés qui stagne à 2,7 millions depuis deux ans malgré une programmation très qualitative.
Tout cela ne serait pas grand chose s'il ne fallait pas ajouter au désordre ambiant la volonté [décidément irrépressible] de chaque gouvernant d'y aller de sa petite réforme de l'audiovisuel et quoi de mieux pour cela que de se piquer de réformer l'audiovisuel public. Finalement, seul François Hollande y sera allé gentiment en ne réformant que le mode de désignation des dirigeants. Là, Françoise Nyssen annonce rien de moins qu'un big bang qui, finalement, fait pschitt. On évacue France 4 qui va mourir lentement en OTT, on prépare les esprits à la fin de France Ô et on colle à Delphine Ernotte une mission d'étude présidée par Marc Tessier [ex PDG de France Télévisions] pour essayer de redonner un peu de cohérence à une maison à qui l'on demande de faire des économies tout en accroissant la qualité. Les animateurs fulminent et menacent de quitter le navire, Drucker n'en finit plus de faire comprendre qu'il est dépressif et Delphine Ernotte avec ses amazones essaye de donner le change sans que la seule émission de Sophie Davant ou le 20H d'Anne-Sophie Lapix ne suffisent à cacher la moribonde forêt de france.tv ... On offre à LAGARDERE [GULLI] le monopole de la chaîne jeunesse [alors qu'il veut la vendre], on redonne 2% de parts de marché à la concurrence tout en fossoyant France 5 qui devra accueillir des plages élargies de programmes jeunesse et on demande enfin à France 3 de multiplier par 3 le volume de ses programmes régionaux. On voudrait tout dégommer qu'on ne s'y prendrait pas mieux. En creux, on annonce que c'est fini pour france.tv de rivaliser avec le privé et donc de jouer la surenchère sur le sport, les variétés et le divertissement qui ne soit pas différenciant du privé. Cela rappelle furieusement l'après-Elkabbach où la télévision publique avait du manger son chapeau pendant deux ans d'austérité.
En ajoutant à cela les oukases du patron de M6 qui veut que les talents de RTL [radio qu'il a rachetée] s'expriment seulement sur les chaînes de son groupe, les impasses de plus en plus inextricables du groupe NRJ qui devrait bientôt appeler à la vente de NRJ12 et CHERIE 25 et les aléas du groupe ALTICE dont seule BFM-TV parvient à s'en sortir [mais à quel prix éditorial !], la télévision linéaire et la radio sont dans un sale état et rien n'est aussi mûr que ce fruit qui va bientôt tomber dans les mains du plus fort. Parce que les opportunités seront nombreuses : Bolloré attend depuis longtemps de fusionner VIVENDI et son groupe, mettre la main sur Europe 1 et fermer la chaîne CANAL+ [qu'il retirera d'abord de la TNT] pour n'en faire plus qu'un distributeur de contenus et non plus un éditeur. A TF1, c'est sur le pôle de production audiovisuelle de Lagardère et aussi sur Europe 1 que l'on regarde, en attendant qu'Arnaud jette l'éponge. NETFLIX n'attend rien, le service de vidéo sait déjà qu'il a envoyé par le fond tout le système de l'exception culturelle française avec ses 100.000 abonnés nouveaux tous les mois. La perte du football par CANAL+ achèvera de subventionner le cinéma français [biberonné à raison de 9,5% annuels du chiffre d'affaires de la chaîne cryptée] et c'est toute la création qui va s'en trouver déstabilisée. Ça tombe bien, Emmanuel Macron n'a jamais vu d'un très bon oeil ce statut vétuste des intermittents du spectacle, pour mieux lui préférer l'uberisation rampante très en vogue à Londres ou à Hollywood où les grands mastodontes font la loi. Reste que chez les éléphants du spectacle, DISNEY n'est plus certain de mettre la main sur la 21TH CENTURY FOX et COMCAST [maison mère de NBC UNIVERSAL] tente de multiplier toutes les alliances possibles jusqu'à ce que NEFLIX cesse de croître et donc disparaisse aussi rapidement qu'il est apparu.
On aurait tort de se réjouir de tels chambardements qui procèdent davantage de subductions de plaques tectoniques : les morts seront nombreux et dans deux ans, on verra où en seront ALTICE et ses investissements hasardeux payés à crédit, BOLLORE et son flegme aussi révélateur que trompeur, TF1 qui devra avoir trouvé comment faire autre chose que gérer la lente décroissance de son audience, LAGARDERE qui aura tout vendu, NRJ qui sera tombée dans les mains des qataris ... La volatilité est totale au point que le cycle long de la création ne parvient plus à s'extraire de l'immédiateté des séismes à répétition. Oh certes, le football français peut se réjouir d'encaisser plus d'un milliard d'euros tous les ans de 2020 à 2024, ce faisant il aura détruit ses partenaires historiques et n'offrira aucune rentabilité au prince espagnol inconséquent qui aura surpayé des Guingamp/Saint-Etienne qui tiennent plus de la deuxième division que de la Ligue des champions. Une chose est certaine : les plus prudents resteront et le téléspectateur y perdra. Sur les 21 chaînes lancées depuis moins de quinze ans sur la TNT en France, tu as assez d'une main pour compter celles qui gagnent mollement un peu d'argent. Toutes les autres croulent sous les déficits.
Une chose est certaine : tout va changer durablement, ce d'autant que tous les architectes du moment seront partis d'ici trois ans. Il ne restera que des ruines d'un tel bazar et l'exception culturelle [comme le "mieux-disant culturel"] sera une relique qu'on exposera avec gourmandise en se rappelant de ce temps regretté où l'intelligence brillait davantage ... oui, on se lamentera comme on le fait aujourd'hui en se disant que la télé de Bellemare, Chancel et Tchernia c'était vraiment bien.
Tto, sidéré