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L'abomination juridique des profanes excités

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Pour idiote et stupide sinon inacceptable que soit la déclaration selon laquelle "l'homosexualité est une abomination", les réactions venant à la suite de l'arrêt de la Cour de Cassation du 9 janvier 2018 ne témoignent pas d'autre chose que d'une stupidité ou d'idioties au moins équivalentes.

Une abomination, c'est au sens propre, une horreur quasi sacrée qu'inspire ce qui est impie, maudit, mal ou monstrueux. Dans une seconde acception, il s'agit d'une action, une conduite ou un aspect abominable. Étymologiquement, le mot vient du latin abhominatio qui signifiait "objet d'aversion" dans un champ lexical religieux. Par delà le désordre des sens attestés en discours, il semble que l'étude historique permette de saisir le travail systématique fait par la langue dans la création de tous ces sens : le sens premier indiquant une répugnance physique, une nausée a engendré le sens "sentiment d'horreur". C'est de lui que procède, par une sorte de métaphore, de transfert du sentiment à l'objet qui le provoque, le sens "objet, action ou personne abominables". De ce sens provient par restriction le sens religieux. Mais je ne suis pas ici pour singer les linguistes ni jouer l'exégète du terme ...

Parce que ce qu'il faut bien comprendre, c'est que pour choquante que puisse être l'arrêt de la Cour de Cassation du 9 janvier 2018, il faut tout de même revenir à la raison et ne pas faire dire ce que les juges de la Cour n'ont pas dit. Ainsi, l'arrêt ne légitime absolument pas l'utilisation du terme "abomination" à l'endroit des homosexuels, de Christine Boutin ou de tout autre. Les juristes de pacotille ou les illuminés qui ont un avis sur tout ce qui ne ressort pas de leurs maigres compétences polluent le discours et les débats à longueur de réactions ulcérées [et je ne parle pas des personnalités qualifiées qui se vautrent dans la fange crasse de la médiocrité ambiante ce faisant]. Pourtant, les mots ayant un sens et le système juridique français [bien qu'imparfait mais comme ses contempteurs sinon moins] a une logique et des principes qu'il m'apparait bon et salutaire de rappeler avant d'avoir à proclamer avec excès que la France est devenue un pays fascisant. En première année de Droit, on apprend que la Cour de Cassation ne juge jamais les faits mais l'application de la règle de Droit. Pour abstrait que cela puisse paraître, cela veut en réalité signifier qu'en l'espèce la Cour de Cassation ne s'est pas prononcée sur le bien fondé d'expliquer que l'homosexualité était ou non une abomination, elle s'est contentée en vertu de l'Etat de Droit dans lequel elle s'insère et duquel elle participe à vérifier que cette déclaration équivalait à une incitation à la haine, comme la Cour d'appel l'avait jugé.

On peut penser qu'il ne s'agit là que d'un débat théorique mais pourtant c'est extrêmement simple. Au même titre que la Chambre criminelle de la Cour de Cassation ne jugera pas le procès mais la bonne application des textes en vertu desquels un pourvoi aura permis son examen, Christine Boutin contestait le fait que les propos qu'elle avait tenu dans la revue Charles ne pouvaient être analysés en une incitation à la haine, qui demeure un délit lequel répond, comme tous, à des conditions de fond et de forme [pour faire simple]. La Cour de Cassation lui a donné raison sur ce point :

... le propos incriminé, s’il est outrageant, ne contient néanmoins pas, même sous une forme implicite, d’appel ou d’exhortation à la haine ou à la violence à l’égard des personnes homosexuelles.

Ce qu'il faut donc retenir, c'est que dire que l'homosexualité est une abomination n'est pas un appel, même implicite à la haine ou à la violence à l'égard des personnes homosexuelles étant également précisé que de tels propos sont outrageants. En d'autres termes, la Cour de Cassation se paye le luxe d'expliquer que Madame Boutin commet un outrage mais rappelle que vouloir la faire condamner pour appel à la haine est vain puisqu'une telle qualification ne peut être retenue. C'est donc tout bêtement du côté des associations qui avaient traîné la députée devant les tribunaux qu'il faut s'interroger et se demander s'il n'eût finalement pas été plus opportun de choisir un autre cheval de bataille, probablement moins risqué et qui soit moins de nature à lui permettre de pérorer désormais.

Une lecture un peu éclairée de l'arrêt permettrait de cesser de dire des inepties du genre "les tribunaux reconnaissent que l'homosexualité est une abomination puisqu'ils donnent raison à Boutin" ! C'est peut-être sur le terrain de la diffamation qu'il eût été préférable d'aller plutôt que de risquer une telle censure, juridiquement assez entendable. Depuis le temps que j'explique aux uns et aux autres que le Droit pénal est une matière dans laquelle l'excès de précaution est loin d'être superfétatoire. Même un simple dépôt de plainte mal rédigé et mal dirigé peut se retourner contre la victime !

Au surplus, la déconvenue est d'autant plus sévère qu'il n'y aura pas de renvoi [un arrêt peut casser une décision d'une Cour d'appel et demander à la cour d'appel en question ou une autre de rejuger en fonction de l'interprétation qu'elle vient de livrer], mettant un point final à cette histoire et offrant donc à Christine Boutin la possibilité de clouer le bec des associations LGBT qui n'ont pas dirigé leurs arguments sur le bon fondement. L’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence est un sujet très délicat parce qu'il faut réellement un désir que cela se produise par des faits ou des actes pour que l'incrimination soit recevable. L’incitation est donc le fait de provoquer des personnes ou un groupe de personnes, ce qui sera suivi d’effet. L’incitation à la haine, discrimination ou violence est l’intention donnée par le ou les auteurs, il y a un désir que cela se produise par des faits ou des actes. Il doit y avoir un désir que cela se produise et non d’inciter sachant que cela ne sera pas suivi d’effet. En cela, il ne faut pas confondre avec l’article 32 de la loi sur la Liberté de la Presse de 1881 qui porte sur la diffamation. Et là, c'était beaucoup plus simple ... [pour autant que l'on respecte les conditions de prescription notamment]

Enfin et c'est peut-être ce qu'il y a de plus regrettable : l'illusion de la liberté de tenir des propos homophobes est redonnée à celles et ceux qui en étaient frustrés. Contrairement à ce que certains se plaisent à raconter, l'arrêt ne le permet pas mais peut donner, si l'on tord la réalité et si l'on oublie tout ce que je viens de rappeler, l'impression que c'est à nouveau possible, libérant ainsi la liberté d'expression. Bien sur que non et ceux qui traitent Christine Boutin d'abomination ne valent pas mieux juridiquement que ceux qui disent que les homosexuels sont une abomination. Rien ne change, de tels propos sont évidemment condamnables pour autant que l'on ne se jette pas sur la mauvaise incrimination.

Tto, navré mais qui comprend


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