Comme c'est la première fois que je le fais, je tâtonne. C'est un peu ce que j'ai écrit à l'un de mes oncles pour lui expliquer le choix qui a été le mien de ne pas inviter tout le ban et l'arrière ban de la famille [étant précisé que cela eût été superfétatoire puisque certains ne daignent pas me parler depuis bien plus de dix ans ... je respecte dès lors leur choix en y asseyant une évidente cohérence].
Ce mariage aura été, comme beaucoup de choses avec Zolimari, une histoire de patience et d'opiniatreté.
Tout a commencé, je m'en souviens bien, dans un bar grec sur l'île de Naxos.
Ce soir là, tandis que notre périple [autrement appelé fort justement "La piste Cyclades"] commençait à prendre un goût de fin bien regrettable, je sirotais je ne sais plus quel cocktail, une pina colada je crois. Je me souviens m'être laissé aller à quelques absences, comme cela peut m'arriver quand j'ai envie de voguer ailleurs et de me laisser porter. Je regardais les gens déambuler sur le port de Naxos City, le soleil couchant sur la porte d'Hadrien donnait à cette agitation un air assez irréel, pratiquement cotonneux. Inutile de dire qu'il faisait bon, je me souviens encore du vent enveloppant qui venait caresser mes jambes découvertes tandis que je continuais un voyage intérieur, répondant quasi mécaniquement à Zolimari qui devait certainement me raconter des choses passionnantes mais moi, j'étais ailleurs.
Oui j'étais loin, loin de me douter que j'allais prendre l'une des décisions les plus importantes de ma vie au terme d'une quinzaine féerique au cours de laquelle j'avais traversé quelques contrariétés mais j'étais bien, reposé, serein et finalement pas angoissé du tout. Finissant mon verre, j'avais laissé Zolimari décider du restaurant du soir et, comme à l'accoutumée, il avait dévoré le guide du Routard pour hésiter entre plein de possibilités qu'il m'était à présent dévolu d'arbitrer tout en tenant compte de son choix marqué pour l'un mais comme il n'assume jamais, c'est à moi de trancher ce qu'il a finalement décidé.
Ailleurs, nous arpentions les rues de Naxos, fendant la horde de touristes mal élevés qui se croyait seule au monde, regardant à gauche et à droite pour éventuellement compléter quelques cadeaux de voyage. Je m'extasie toujours des horreurs que l'on peut rencontrer à cette occasion et je regrette encore de ne pas avoir acheté cet énorme chibre en bois, bien nervuré dont Zolimari m'a dit avec stupeur "Lâche ça Tto, on va nous voir !!!!" lorsque je m'en étais saisi.
Attablés dans ce restaurant prometteur où l'ambiance était au paroxysme de la lumière tamisée, nous étions sous une tonnelle comme seules les Cyclades peuvent en offrir. A l'abri du bruit, nous finissions notre apéro quand, par fulgurance qui moi-même m'étonna un peu, je pris la décision de m'adresser à Zolimari au moyen de ma phrase rituelle qui lui laisse toujours envisager qu'il s'avance dans un moment périlleux.
"Je peux te demander quelque chose ?" est toujours le signe que chaque mot sera lourd, empreint d'un enjeu capital. Cela traduit toujours chez moi une certaine gravité à telle enseigne que je ne me risque pas souvent à le dire. Et là, paf ! En ce soir où tout baignait, il fallait que je le sorte là maintenant ... Zolimari venait de se décomposer mais ne pût, évidemment, refuser de répondre par l'affirmative [c'est en cela que cette question est toujours un piège dont je maîtrise l'effet de surprise, souvent décisif].
Je ne me souviens plus comment j'ai amené la chose mais l'idée était de ne pas partir dans une démonstration qui confinerait à la plaidoirie. Quitte à jouer de l'effet de surprise et désireux de capitaliser sur la spontanéité de ma démarche qui m'intriguait moi-même, je suis allé droit au but. Je me souviens parfaitement lui avoir dit : "Bah voilà, je crois que je suis sûr d'avoir envie de me marier avec toi. Tu veux ?"
Tu aurais balancé Nagazaki et Hiroshima en même temps dans la tête de Zolimari qu'il n'aurait pas fait une autre tête ... Dire qu'il était dévasté serait exagéré mais profondément gêné oui : je vis avec quelqu'un qui déteste se rendre visible et extérioriser ses émotions devant tout le monde. Il a bredouillé deux trois mots, a observé mon sourire de joconde oscillant entre la classique courbure carnassière de mes lèvres et la tendresse absolue pouvant être exprimée par un garçon se sentant sur la brèche de s'être autant dévoilé en si peu de mots ...
Il m'a répondu "Mais Tto, ... on ne peut pas. Tu sais bien que l'on n'en a pas le droit, bientôt peut-être mais pourquoi répondre à cela alors que c'est impossible ?". Forcément, c'est pas le "oui" franc et massif que j'aurais pu espéré mais ce n'était déjà pas "non". Et puis, comme je le lui ai dit, nous étions en septembre 2012 et cela semblait assez inéluctable. Il m'a alors promis de répondre à cette question quand le champ des possibles serait dégagé et quand la loi nous y autorisant serait promulguée. Il n'a pas manqué à sa parole ...
Tto, décidé depuis le 12 septembre 2012